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Fabien Galthié : « ce Tournoi est totalement imprévisible »

Fabien Galthié at the Colosseum
A la veille de recevoir le Pays de Galles, le sélectionneur de l’équipe de France confie sa conception du Tournoi des Six Nations et ce que ça lui a apporté.

Fabien Galthié est le genre à bien peser ses mots avant de les prononcer, tourner la langue sept fois dans sa bouche (au moins) avant de s’exprimer. Parfois c’est clair, parfois moins (comme on le voit notamment dans la deuxième saison de la série Netflix Six Nations : Full contact).

Mais lorsqu’on lui pose la question de ce que représente le Tournoi pour lui, sa réponse fuse direct : « le rugby, tout simplement ». En tant que joueur (64 sélections comme demi de mêlée entre 1991 et 2003), il en a disputé neuf éditions, que ce soit avec cinq nations (cinq fois) ou six (quatre). En tant que coach, cette édition 2025 sera sa 6e et il n’en a pas encore fait le tour, loin de là et c’est justement ce qui le rend si passionnant. Car au fil des ans, ce qu’il a appris en tant que joueur a influencé ce qu’il applique en tant qu’entraîneur.

« Mon expérience de joueur a nourri ma réflexion et m'a construit, d'abord en tant que joueur, puis en tant qu'entraîneur et sélectionneur », explique-t-il à Six Nations Rugby. « Un ancien demi de mêlée, par exemple, ne verra pas le jeu de la même manière qu’un ancien pilier. Le demi de mêlée est au centre du jeu, il ressent les énergies, le rythme, il est en lien direct avec le ballon et ceux qui le jouent. Il y a une sensibilité particulière qui en découle, différente de celle d’un joueur de première ligne ou d’un arrière.

« Quand je suis passé à l’entraînement, j'ai immédiatement cherché à mettre en œuvre mon savoir de joueur, mon ressenti du jeu. J’ai construit ma vision à partir de mon expérience de terrain. »

Il a fallu suivre l’évolution des règles, s’adapter à la rudesse des équipes, au renouvellement des effectifs et des tactiques, toujours progresser pour prendre le dessus. « Le terrain, le ballon, les dimensions restent les mêmes. Mais sur la forme, le contenu, la préparation et la réalisation, il y a des différences notables », relève-t-il. « Par exemple, les nouvelles règles sont pensées pour créer de l’espace, accélérer le jeu et améliorer la sécurité. Ces trois éléments – espace, vitesse, sécurité – sont les fils conducteurs de l’évolution du rugby. »

Les clefs du camion

A l’entendre, on comprend combien ce qui l’a toujours motivé est d’être en charge. Etre en charge, ça veut dire être libre de ses choix, tenter, oser, se planter et se relever, mais toujours progresser. Et ça, c’est l’un de ses enseignements du temps où il était joueur.

« J’ai moi-même fait partie de cette « valse des charnières tricolores », où les numéros 9 et 10 étaient souvent pointés du doigt après une défaite et jugés responsables du résultat. À mon époque, il était très difficile de s’installer durablement à ces postes, car la pression était constante et le moindre faux pas pouvait coûter sa place », se souvient-il.

« Quand j’ai pris le capitanat (en 2001, à la suite de Fabien Pelous, ndlr), j’ai ressenti à quel point tout était plus facile quand on bénéficie d’une vraie confiance. On nous disait souvent : « On vous donne les clés du camion », mais dans les faits, elles pouvaient être retirées dès le match suivant. Il fallait prouver en permanence, sans réelle continuité ! »

Et c’est ainsi que, notamment pour ce premier match du Tournoi 2025 face au Pays de Galles, il ne cache pas sa satisfaction de « redonner les clefs du camion » à sa charnière maison, Antoine Dupont – Romain Ntamack, qui n’a plus fonctionné depuis ce match de préparation funeste d’août 2023 contre l’Ecosse au cours duquel Ntamack s’est blessé.

« Aujourd’hui, nous essayons de construire quelque chose de plus solide, de donner une confiance qui repose sur des bases réelles et durables », dit-il. « Antoine Dupont et Romain Ntamack, par exemple, doivent ressentir cette aisance et cette liberté dans leur jeu. C’est aussi le cas de joueurs comme Nolann Le Garrec, Thomas Ramos ou Maxime Lucu, qui travaillent régulièrement aux postes de 9 et 10 pour être prêts à répondre aux besoins de l’équipe.

« Nous savons que l’imprévu fait partie du rugby et qu’il faut toujours avoir des solutions. Une équipe doit pouvoir compter sur des joueurs capables de prendre des décisions, de mener le jeu et d’assumer leurs responsabilités, notamment dans ces matchs de très haut niveau, que l’on appelle test-matchs. Ce sont des rencontres à forte intensité, où chaque détail compte. »

Et lors de l’annonce de l’équipe de France pour affronter le Pays de Galles vendredi 31 janvier, il en a remis une couche sur ce Tournoi décidément pas comme les autres.

« Chaque Tournoi des Six Nations est imprévisible, il est impossible de prévoir exactement ce qui va se passer », assure-il. « L’an dernier, nous avons commencé par une défaite à domicile contre l’Irlande à Marseille, un match où nous avons joué à 14 pendant plus d’une mi-temps ; de nombreux faits de jeu ont rendu la rencontre particulièrement difficile à vivre. Ces expériences nous apprennent beaucoup.

« L’année dernière, nous avons dû nous battre tout au long de la compétition pour arriver à un dernier match décisif, avec la possibilité de remporter le Tournoi et de finir second, ce que nous avons réussi à faire. Ce fut un Tournoi intense et accroché.

« Pour cette nouvelle édition, notre staff dispose d’un savoir-faire et d’une expérience qui nous permettent d’améliorer encore notre préparation. Nous travaillons sur tous les aspects : méthodologie, outils, vision du jeu, et bien sûr sur la cohésion du groupe. Depuis six ans, nous avons construit une ossature solide avec des joueurs qui ont accumulé du vécu dans cette compétition.

« Par le passé, nous étions une équipe avec peu d’expérience internationale, mais aujourd’hui, nous avons un groupe qui commence à s’affirmer. Avec en moyenne 24 sélections par joueur sur la feuille de match, il y a une vraie continuité. Nous avons donc le sentiment d’être prêts. »

Même s’il affirme à longueur d’interviews que son équipe est là pour « jouer, progresser et performer », il n’en reste pas moins qu’un seul Grand Chelem remporté en cinq éditions pour une équipe de ce calibre fait un peu maigre comme bilan.

« J’entends cette question, c’est un sujet récurrent, et je le comprends parfaitement », admet le sélectionneur. « Depuis 2020, l’équipe de France affiche une performance exceptionnelle, avec 80 % de victoires sur 55 test-matchs. C’est un bilan remarquable.

« Bien sûr, je sais aussi que sur ces cinq Tournois des Six Nations, nous avons remporté un Grand Chelem, terminé une fois premiers ex æquo et trois fois deuxièmes. Pour moi, c’est un excellent parcours. Mais nous avons toujours envie de faire mieux, de progresser et d’atteindre le plus haut niveau possible.

« Dans le sport de haut niveau, l’imprévu joue un rôle majeur. En 55 matchs, nous avons connu 11 défaites, dont 4 avec un écart d’une seule marque. Cela signifie que dans 7 de ces défaites, nous étions encore en mesure de gagner dans les dernières minutes. C’est une de nos priorités : être toujours dans le match à la 77e minute, capable de faire basculer le résultat. C’est pourquoi on parle de test-matchs, car chaque rencontre est une véritable épreuve.

« Quant à l’idée de gagner des compétitions, nous avons cette ambition, et elle est bien réelle. Mais dans le rugby international, chaque test-match est déjà une compétition en soi. Le remporter est un succès, et c’est dans cet état d’esprit que nous avançons. »

2025 serait-elle la bonne année ? C’est sans compter une sorte de « malédiction » qui touche le XV de France, celle de ne pas faire le Grand Chelem les années impaires depuis l’intégration de l’Italie en 2000 et le passage aux Six Nations.... Le dernier Grand Chelem en année impaire remonte à 1997, une autre époque, celle du Tournoi des Cinq Nations, il y a un quart de siècle. Depuis, les Bleus ont couru après sans jamais le rattraper.

Cette année, pour briser la malédiction, il faudra ferrailler dur : après une entrée en matière face au Pays de Galles, c’est un triple déplacement compliqué qui les attend en Angleterre, en Italie et en Irlande. Un vrai parcours de combattant.

Mais la France sait aussi gagner sans faire le Grand Chelem. En 2007, les Bleus avaient lancé leur campagne en étrillant l’Italie et en arrachant un succès à Croke Park contre l’Irlande. Ils avaient ensuite fait plier le Pays de Galles avant de buter sur l’Angleterre à Twickenham. Le titre, ils l’avaient finalement décroché sur le fil. Dix-huit ans plus tard, un trophée même sans Grand Chelem satisferait le public français.